Percée dans la datation des karsts anciens : la méthode U-Pb dévoile les secrets du sous-sol parisien

25 Septembre 2024

La formation des karsts, ces réseaux souterrains façonnés par la dissolution des roches solubles, a longtemps gardé une part de mystère quant à sa chronologie précise. Une équipe impliquant des chercheurs du CNRS Terre & Univers (voir encadré) et du BRGM vient de lever le voile sur ce processus grâce à une technique de datation, offrant de nouvelles perspectives pour comprendre l’évolution de nos paysages et ressources en eau.

Moreau, K., Brigaud, B., Andrieu, S., Briais, J., & Quesnel, F. Determining the age and origin of a Tertiary karstic system by in situ U-Pb geochronology on speleothems. Geology (2024)

Lien vers l'article scientifique

Pour la première fois, des scientifiques ont démontré le potentiel remarquable de la datation uranium-plomb (U-Pb) appliquée à des ciments fins de calcite, tels que les calcites flottantes(1) , pour déterminer l’âge de karstifications remontant à plusieurs millions d’années. Cette avancée majeure a permis de mettre en lumière la précocité insoupçonnée de la karstification des calcaires continentaux rupéliens(2) du Bassin parisien.

L’équipe de recherche a appliqué cette méthode pour dater les premiers ciments de calcite formés dans un système karstique des calcaires continentaux oligocènes du Calcaire d’Etampes, dans le Bassin de Paris. Au total, 43 échantillons de calcites flottantes et d’autres ciments précipités le long des parois ont été analysés dans trois cavités karstiques. Les résultats obtenus étaient inattendus : les âges U-Pb se concentrent autour de 29 ± 1 millions d’années, coïncidant avec la période de formation de la roche encaissante elle-même (≈ 29 Ma).

Cette découverte suggère que la lithification(3), la dissolution de la roche et la précipitation des spéléothèmes(4) se sont produites dans un laps de temps remarquablement court, n’excédant pas 2 millions d’années après le dépôt initial. Plus surprenant encore, la présence d’ostracodes(5)  piégés entre les niveaux de calcites flottantes rupéliennes indique que le karst s’est développé en profondeur juste avant une phase de sédimentation lacustre en surface, révélant un potentiel caractère syn-génétique(6) .

Les chercheurs attribuent cette dissolution très précoce au soulèvement du Bassin de Paris, conséquence directe de l’orogenèse alpine. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension des processus géologiques anciens. La technique de datation U-Pb in situ sur des ciments fins de calcite s’avère prometteuse non seulement pour dater indirectement la karstification ou les fossiles piégés dans les karsts, mais aussi pour étudier la sédimentation et les événements géologiques dans les bassins sédimentaires, même en l’absence de dépôts de surface.

Cette étude innovante souligne l’importance de développer de nouvelles méthodes d’analyse pour percer les secrets de notre sous-sol. Elle offre des applications potentielles cruciales dans divers domaines, de la gestion des ressources en eau à la reconstitution des paysages et climats passés, en passant par l’aménagement du territoire.

Laboratoires impliqués

Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – OSUPS)
Tutelles : CNRS / Université Paris-Saclay

Laboratoire Chrono-environnement (LCE)
Tutelles : CNRS / Université de Franche-Comté

Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, Planètes, Environnement (LGL TPE – OSUL) 
Tutelles : CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / ENS de Lyon / Univ. Jean-Monnet Saint-Étienne

Autres 

Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM)
Tutelles : Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation / Ministère de la Transition écologique

Contact

Kévin Moreau
Enseignant-chercheur de l’Université de Franche-Comté au laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – OSUPS)

Notes

  1. fines couches de cristaux de calcite qui se forment à la surface de l’eau dans les grottes.
  2. étage géologique de l’Oligocène inférieur, datant d’environ 33,9 à 28,1 millions d’années
  3. processus par lequel un sédiment se transforme en roche consolidée.
  4. formations minérales se développant dans les grottes, comme les stalactites et les stalagmites.
  5. petits crustacés dont les fossiles sont souvent utilisés comme indicateurs paléoenvironnementaux.
  6. se dit d’un processus se produisant simultanément ou peu après la formation de la roche encaissante.